Comment préserver son lecteur

Publié: 5 novembre 2010 dans Politique brésilienne

Par Antonio Martins – 27/10/2010

Traduit par JuanStD – 04/11/2010

Dans un cas d’anthologie partisane, la Folha et le Journal National ont soigneusement trié les dénonciations liées à la violation du secret fiscal. Ils ont mis en avant ce qui avantageait Serra et ont caché ce qui le compromettait.

Mon Dieu, le JN (Le Journal National, l’équivalent de « notre » 20h de TF1) a accès à ça http://bit.ly/cVNb0M et fait cet article sur des fuites dans les secrets fiscaux. Dans l’après-midi de vendredi (22/10), le journaliste Luis Nassif a tenu à faire suivre un message qu’il avait reçu de LuizKK, un internaute. Peu de temps auparavant, les sites des journaux de São Paulo avaient rendu disponibles, sans tambour ni trompette, la totalité de ce qu’ils avaient exploité pendant plusieurs jours, dans leurs éditions précédentes: le témoignage à la police fédérale (PF), une semaine avant (15/10), du journaliste Amaury Ribeiro.

La stupeur de LuizKK et Nassif était justifié. Amaury est le personnage central d’un thème qui a accompagné (et a influencé) toute la bataille électorale: la rupture de la règle du secret fiscal en ce qui concerne Veronica Serra, fille du candidat du PSDB, et quelques autres représentants du parti. L’apparition de ce document prouva quelque chose qu’ils soupçonnaient déjà: la partialité des médias traditionnels et dominants, qui attribuaient, avec insistance, les fuites à la direction de campagne de Dilma. Mais elle a aussi révélé quelque chose de nouveau. Dans la « semaine où les élites brésiliennes ont perdu le nord » (lire le texte d’ouverture de la série), deux médias – la Folha de S. Paulo et le Jornal Nacional (le JN, dans le message de  LuizKK) – ils portèrent cette partialité à un point extrême,  qui fera sans doute un jour, l’objet d’études dans les écoles de communication.

Dans une violation manifeste de leur engagement avec les lecteurs, ils firent un tri on ne peut plus partial dans le témoignage partisan d’Amaury. Les éléments qui pouvaient compromettre Dilma furent annoncés en fanfare, «méritants» lors de quatre éditions de la Folha (du 20 au 23/10) le statut de sujet principal de la journée (dont trois Unes). Pendant ce temps, ils dissimulaient les affirmations du journaliste qui accusait Serra par deux fois. D’abord pour le processus de privatisation du gouvernement Fernando Henrique Cardoso, au cours duquel les membres du PSDB – et Veronica Serra – furent impliqués dans des affaires de corruption et / ou de blanchiment d’argent. Ensuite, pour la lutte fratricide à laquelle les tucanos (membre du PSDB) se livrèrent,  entre les deux factions (Serra et Aecio Neves), pour le choix du candidat à la présidentielle, allant jusqu’à envisager la préparation de dossiers sur les crimes commis par le groupe adverse.

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Pour dénouer l’imbroglio créé par la couverture médiatique, et le comprendre, il faut remonter à la dernière semaine du mois d’août. Un contrôle de la Receita Fédéral (la Direction Générale des Impôts) constata alors, que le 8 Octobre 2009, des fonctionnaires de la Receita Fédéral de l’ABC Paulista avaient consulté les déclarations de revenus de quatre membres du PSDB, l’ancien directeur de la Banque du Brésil (du gouvernement Cardoso) et trésorier du parti, Ricardo Sergio de Oliveira, l’ancien ministre des communications de Cardoso, Luiz Carlos Mendonça de Barros, le vice-président du parti, Eduardo Jorge et le chef d’entreprise, Gregory Preciado Marin, mariée à une cousine de José Serra. Quelques jours plus tard, il arrivait  la même chose avec le dossier de Véronica Serra, fille du candidat à la présidentielle.

Le sujet domina dans les médias pendant au moins quinze jours. Il fut mis en évidence dans les titres suivis par Veja, O Globo, la Folha et l’Estado, en plus du JN. L’accès non autorisé aux renseignements fiscaux de millions de contribuables n’est pas rare. De nombreux articles, dans les journaux et les télévisions, ont déjà mentionnée la vente massive de CD contenants de telles informations, en des endroits comme la Rue Santa Iphigénia à Sao Paulo. Toutefois, le fait a été traité comme de l’espionnage politique, lorsque les cinq tucanos ont été impliqués.

On a alors insinué que la fuite avait été possible grâce à la demande d’un « service d’espionnage » de la direction de campagne de Dilma, qui devait préparer un «dossier» sur les tucanos. Veja parla d’un « affaiblissement des institutions» dans un texte intitulé «l’État au service du Parti », édition dont la couverture portait l’image d’une pieuvre attaquant, avec ses tentacules, le blason de la République. Un éditorial paru dans l’Estado attribua  la responsabilité de l’incident à Lula. La présence de Veronica ajouta un élément sentimental à l’affaire: la machine de l’administration publique, pour les adversaires de Serra, allait jusqu’au point d’harceler la famille du candidat …

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La police fédérale ouvrit une enquête pour tirer l’affaire au clair. Elle entendit 37 personnes. Bien que l’investigation soit exécutée à huis-clos, Eduardo Jorge – un de ceux qui avait vu ses données fiscales passées au peigne fin – en vertu de sa condition de partie prenante, a demandé, par injonction préliminaire, l’accès au dossier. C’est la source probable de la reprise du sujet par les médias. À partir du 20 Octobre, la Folha et le Journal National, appuyés par les autres journaux et Veja, traitèrent, encore une fois, la violation du secret fiscal comme une question d’importance nationale.

Selon les médias, le journaliste Amaury Ribeiro est ciblée dans l’enquête de la PF comme le pivot de la fuite des renseignements fiscaux sur les tucanos. Amaury est un journaliste expérimenté, qui est passé par tous les grands journaux du pays et s’est vu distingué à trois reprise du prix Esso et quatre du prix Vladimir Herzog. Il nie avoir commandé aux fonctionnaires de la Receita Fédéral la consultation des déclarations de revenus des tucanos. Il admet toutefois qu’il rassemble un «dossier» sur le thème.

Pourtant, ayant eu accès à son témoignage à la PF, la Folha et le Journal National ont recueilli des preuves qui réfutent, dans son intégralité, la subordination du travail d’Amaury Ribeiro à la PT ou la direction de campagne de  Dilma. Le journaliste récompensé, qui prépare un livre sur la privatisation, rapporte, entre autres, ce qui suit:

1. Son enquête a commencé au début de la dernière décennie, quand il est passé de la succursal Paulista du journal O Globo à la rédaction du Jornal do Brésil – et s’est intéressé à la participation de Ricardo Sérgio au processus de privatisation.

2. A cette époque, il a eu accès à une première déclaration de revenus de Ricardo Sergio (sur 1998), par des moyens totalement légaux. Le document comprenait un procès intenté par Rhodia au Brésil à Calfat, entreprise détenue par Ricardo Sergio.

3. En persistant dans l’enquête, il a découvert, en 2003 – dans les documents publics obtenus par la CPI (Commission Publique d’Investigations) de Banestado – que Ricardo Sergio manipulait «des millions de dollars» par an. Il utilisait pour cela, des réseaux de change (Dollars) du marché noir, et il opérait aussi dans des paradis fiscaux.

4. Il a même publié, comme en 2003 ( Isto é), plusieurs articles sur ces mouvements d’argent. Il a été attaqué en justice par Ricardo Sérgio. Il s’est servi du droit « d’exception de vérité »- qui garantit aux accusés le droit de pratiquer la calomnie pour démontrer que ses allégations sont vraies. Ce faisant, il peut exiger de la CPI de Banestado, de nouveaux documents sur le transfert d’argent à l’étranger fait par son adversaire.

5. Le matériel reçu lui a permis de vérifier que Gregory Preciado Marin (le mari de la cousine de José Serra), et d’autres d’une certaine façon liés au processus de privatisation du gouvernement Cardoso, avaient également opérer de grands mouvements de fonds à l’étranger.

6. A partir de 2007, il a travaillé à l’Estado de Minas et au Correio Brasiliense (tous deux appartenant au groupe Diarios Associados/ Associated Newspapers). A cette époque, il a découvert qu’un groupe d’espionnage clandestin surveillait le gouverneur Aécio Neves, à la demande de José Serra.

7. Ses sources dans la « communauté du renseignement » ont constaté que ce groupe dirigé par le délégué de la Police Fédérale et le député Marcelo Itagiba (PSDB-RJ) travaillait pour José Serra – qui disputait alors avec Aecio la nomination comme candidat à la présidence de leur parti.

8. En apurant les activités de ce groupe, il a découvert que Veronica Serra et son mari possédaient des sociétés opérant dans des paradis fiscaux. Utilisées pour blanchir de l’argent, elles partageaient un bureau dans les îles Vierges, avec des entreprises appartenant à Ricardo Sergio.

9. Il a conclus, de la somme des informations recueillies, que Ricardo Sergio, directeur de la Banque du Brésil, avait participé à l’articulation de consortiums privés qui ont pris le contrôle de la Telebrás. Et, en tant que trésorier du PSDB avait exigé des dessous de tables et avait exécuté depuis sa base dans les îles Vierges, l’importation illégale de valeurs au Brésil.

Rien ne garantit que cet ensemble de déclarations soient vraies. Il est pourtant sûr, cependant, qu’elles sont d’une pertinence et d’une gravité immense. Ayant accès à de tels documents confidentiels, la Folha, le JN et les publications qui ont suivi l’ont caché à leurs lecteurs. Ils n’avaient pas l’intention d’enquêter et d’informer. Ils voulaient juste prouver une hypothèse préconçues – que la rupture du secret fiscal démontrait la pratique, par le PT, de l’espionnage et de l’appareillage de l’état. Par conséquent, ils ont mis en évidence dans le témoignage d’Amaury Ribeiro un autre ensemble d’informations, à savoir:

10. Éloigné de l’Estado de Minas en fonction de la maladie et de la mort de son père, le journaliste a été sondé en avril 2010, par la société Lanza comunicações , qui dirigeait à l’époque la communication de la pré-campagne de Dilma. En connaissant ses relations avec la « communauté du renseignement », les responsables de l’entreprise ont demandé l’indication d’un professionnel capable d’enquêter sur des suspicions d’espionnage dans « La Maison du Lac Sud, » utilisées pour rendre des ervices à la candidature.

11. Onézimo Grace, un professionnel nommé par Amaury, a présenté un budget (180,000 Réaux), considéré comme très élevé. Amaury a lui-même exclu de travailler pour Dilma, devant le risque de « infiltration » d’espions.

12. Pendant les jours où il était en contact avec la direction de campagne du PT , Amaury a séjourné dans l’ apart-hôtel de « Jorge », le gérant de la « maison du lac Sud. » Pendant cette période, le contenu de ses enquêtes sur la corruption et le blanchiment d’argent liés à la privatisation de l’ère Cardoso a été copié à partir de son ordinateur portable, par Rui Falcao, qui fait partie de la campagne de Dilma. Impliqués dans une dispute interne avec Lanza, Falcao a remis le matériel au journaliste Policarpo Junior, de Veja.

Tout en dissimulant, dans son intégralité, le premier groupe d’informations, le Journal National et la Folha ont donné au second, la plus importante place. Durant les années 1990, la Folha était fière d’un slogan: «Compromis avec le lecteur » …


Cet article est la troisième partie du Dossier GloboGate. Dans la même série:

1. La semaine où les élites perdirent le nord
Comme les anciens médias manipulés images et les faits, pour tenter de forcer la victoire de Serra. Le rôle de la blogosphère dans le démontage de la farce et la nécessité d’une démocratisation radicale des communications

2. La bataille de Campo Grande
Produire un incident grave et l’attribuer à l’adversaire, est un moyen de transformer une élection presque perdu. Sierra et le Globe semblent avoir essayé cette stratégie le 20 Octobre. Ils ont été battus par des millions d’utilisateurs d’Internet – et Twitter

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